dana hilliot<p>J'avoue que j'ai du mal à décoller des livres de Sara Ahmed. Celles et ceux qui me suivent auront noté que je fais référence de plus en plus régulièrement à des autrices (et quelques auteurs) féministes/queer : la raison en est que pour aborder les questions qui me tiennent à cœur (le fil directeur de l'agenda plus ou secret de mes recherches : "ce que la catastrophe climatique implique pour la pensée politique" - ou quelque chose dans ce goût 😅 ) les perspectives ouvertes par le champ et le style d'approches féministes/queer me semble actuellement le plus pertinent (une manière un peu trop sage et "universitaire" de dire que je trouve le plus décapant, incisif, créatif et prometteur). Je n'abandonne évidemment pas les perspectives post-marxistes, décoloniales, extractivistes, les discards studies, les racial studies, et j'en passe, etc... etc.. mais il y a quelque chose, notamment dans l'approche phénoménologique de Sarah Ahmed, ou les théories des affects d'une Lauren Berlant, qui me paraît toucher à des aspects extrêmement fondamentales de l'expérience humaine, et qui constituent en ce moment une sorte de base d'où penser les relations à la catastrophe (ce que c'est de vivre et penser sous le régime de la menace par exemple - question que j'aborde aussi sous une forme plus littéraire dans les pièces de théâtre que j'ai écrites cet automne)</p><p>Pour donner une idée du style si particulier de Sara Ahmed, voici un extrait (traduit très très approximativement, ce pourquoi je livre l'anglais ci-après) d'un de ses livres de philosophie, portant sur la volonté (Willful Subjects, Duke University Press, 2014). C'est quelque part dans la conclusion, où elle se pose la question de savoir si aux pierres peut être attribué une "volonté". </p><p>"Et nous aussi, nous pouvons devenir de la pierre. Pensez au « stone butch » dans l’histoire lesbienne queer : une histoire de celles qui deviennent inflexibles pour survivre, une histoire de celles qui pourraient avoir à se protéger en devenant de la pierre. Ici, la pierre devient un don volontaire, une qualité que nous pouvons assumer. Et si nous nous considérons comme des pierres, nous ne ramenons pas simplement les pierres à nous-mêmes. Nous montrons comment les corps humains ne peuvent être rendus exceptionnels sans perdre quelque chose : comment nous comptons en étant faits de matière (how we matter by being made of matter) ; chair, os, peau, pierre, enchevêtrés, enchevêtrés. L’enchevêtrement de la pierre et de la peau importe : la peau aussi, la peau comme la pierre, est capable de recevoir des impressions. Le dommage peut être compris comme une forme de réception. Audre Lorde a écrit : « Pour résister aux intempéries, nous avons dû devenir de la pierre, et maintenant nous nous meurtrissons sur l’autre qui est le plus proche » (“In order to withstand the weather, we had to become stone, and now we bruise ourselves upon the other who is closest”, Sister Outsider: Essays and Speeches, 1984). Il serait difficile de surestimer la puissance de la description de Lorde. Les formes sociales d’oppression, le racisme, la haine qui fait de certains corps des étrangers, peuvent être vécus comme des intempéries. Elles pressent et frappent la surface d’un corps ; un corps peut remonter à la surface ou survivre en s’endurcissant. Pour certains corps, rester debout, c’est résister. Ou, comme je l’ai décrit au chapitre 4, on ne peut parfois se tenir debout qu’en restant ferme. La volonté nous aide à décrire la répartition inégale du statut matériel et social. Mais une pierre aussi peut être plus ou moins dure. Le durcissement n’élimine pas ce qui l’a rendu nécessaire : ce sentiment d’être trop mou, trop réceptif, trop disposé à recevoir une impression. La dureté est une condition relative, même lorsque nous essayons d’établir un rapport différent avec une condition. Ce que nous devenons pour résister peut devenir quelque chose qui nous endurcit vis-à-vis des autres, ceux qui pourraient être les plus proches, qui pourraient aussi avoir à survivre aux intempéries. Nous pouvons nous abîmer les uns les autres dans notre façon de survivre à l’abîme."</p><p>Typiquement du Sara Ahmed, troublant, dérangeant, et hyper-stimulant - dans la période compliquée dans laquelle je me trouve, je n'exagère pas en disant que son génie m'aide à tenir debout !!</p><p>(de facto, je navigue entre tous ces livres, passant d'un chapitre à l'autre, fasciné, excité, et plus j'en lis, plus j'ai des idées au kilomètre ! Il ne s'agit pas seulement de lire, mais d'une "expérience de lecture" - qui vous transforme, ne vous laisse pas en paix, comme devrait l'être toute philosophie !)</p><p><a href="https://climatejustice.social/tags/SaraAhmed" class="mention hashtag" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">#<span>SaraAhmed</span></a> <a href="https://climatejustice.social/tags/AudreLorde" class="mention hashtag" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">#<span>AudreLorde</span></a> </p><p>Le texte anglais ci-dessous <br>===>>>></p>